Lu dans les news du 13/08/2010
Les morts-vivants envahissent le Japon, mais l'administration n'entend pas se laisser faire. La disparition de deux centenaires a plongé l'Archipel dans la perplexité et la peur depuis une semaine.
Le ministère de la Santé a d'abord découvert fin juillet le cadavre d'un homme qui se serait enfermé il y a trente ans dans sa chambre. Personne n'ayant déclaré sa mort, il était toujours répertorié parmi les vivants au ministère de la Santé. Sa famille a affirmé aux enquêteurs qu'il s'était cloîtré en observant un jeûne pour devenir un «Bouddha vivant».
Puis il y eut le cas de l'auguste Mme Fusa Furuya: à 113 ans, elle est officiellement la doyenne de l'immense agglomération de Tokyo, et vit avec sa fille; cette dernière en réalité n'a aucune idée d'où elle peut être, et ne l'a pas vue depuis vingt-cinq ans.
Des morts qui touchent des allocations-retraite :
Depuis, les fonctionnaires du ministère de la Santé se demandent combien de centenaires sont réellement encore en vie, et combien de morts continuent de toucher des allocations-retraite. Selon les premiers résultats rendus publics jeudi, l'administration a perdu la trace de 200 centenaires. Et elle n'en est qu'au début de son enquête. Le Japon est le pays où l'espérance de vie est la plus élevée.
L'Archipel compte environ 30.000 centenaires sur une population de 127 millions d'habitants. D'ordinaire, l'administration attend de la famille un certificat de décès avant de changer leur statut. Mais la solitude est un phénomène si profond dans la deuxième économie du monde, tant chez les jeunes (on estime parfois à 800.000 le nombre d'ikikomori, ces jeunes reclus qui ne quittent plus leur chambre du tout) que chez les personnes âgées, qu'il lui est difficile de tenir à jour ses fichiers.
«L'État est pauvre, les gens sont riches»
Beaucoup de Japonais disparaissent de la vue de leurs voisins pendant des années, sans que cela préoccupe quiconque. Les administrations locales et nationales en charge de ces questions sont gênées dans leurs recherches par les reclus eux-mêmes, qui refusent souvent tout contact extérieur, protégés au surplus par une législation sur la vie privée très restrictive. Dans la préfecture de Tochigi (centre du Japon), les fonctionnaires ont requis l'aide d'une entreprise de vendeuses ambulantes pour leurs investigations.
Pour l'administration nippone, c'est une nouvelle humiliation, après la perte il y a deux ans de millions de dossiers de retraites. Demeurée toute-puissante et irresponsable en raison de l'incurie de la classe politique censée la diriger, elle maintient des procédures kafkaïennes et dispose de peu de moyens malgré le très visible dévouement des fonctionnaires dans leurs relations quotidiennes avec leurs administrés. «La collecte de l'impôt est très mal faite au Japon. Conclusion: l'État est pauvre, les gens sont riches», explique le dirigeant d'une grande banque locale.
Tout le pays, en tout cas, attend avec impatience le résultat final de l'enquête du ministère avant le 20 septembre: au Japon, c'est le jour dédié aux personnes âgées.