Écriture d'enfant sur papiers d'écolier, c'est avec ce trait innocent qu'Eric Pougeau livre ses idées noires, confrontant candeur et culpabilité, enfance et mort. Stèle mortuaire portant le nom de l'artiste suivi des dates de naissance et de décès, avions télescopés, l'artiste conjure l'angoisse de la mort en la faisant exister et en se l'appropriant « J'ai peur. Je veux être la peur ». Déjà lors de son exposition de 2005, Eric Pougeau présentait une série de petits mots, de ceux qui sont déposés sur la table de la cuisine ou de la salle à manger: « Mes Chéris, Quand papa et maman mourront, vous serez seuls et vous mourrez aussi. A ce soir, Maman ».
Cynisme ou exorcisation, l'artiste mêle la pesanteur de la mort, du crime et de la solitude à la légèreté quotidienne.
http://www.etapes.com/eric-pougeauEric Pougeau, Fils de pute (2010)
23 octobre - 16 janvier 2011
L’oeuvre d’Eric Pougeau présentée dans le patio choque par son approche irrévérencieuse de la mort. La tombe renvoie bien sûr chacun à un lieu bien différent d’un centre d’art : le cimetière, et à tous les souvenirs personnels de deuil et de peine qu’on y rattache. C’est pourquoi l’insulte gravée dans le marbre de ce tombeau porte une telle charge. Pas seulement pour la crudité du langage, mais pour son décalage par rapport au contexte funéraire et au respect qu’inspire la mort. Cette sculpture, qui fait partie de la collection d’Antoine de Galbert, clôt une série de couronnes, croix, et plaques mortuaires, commencée en 2001, sur lesquelles l’artiste avait fait graver une sélection d’insultes explorant divers aspects de la violence quotidienne (sociale, familiale, homophobe, misogyne…).
Il s’agit d’une pièce unique, que le collectionneur s’est engagé à restituer en cas de décès de l’artiste, afin que soit appliquée sa dernière volonté de l’utiliser comme pierre tombale.
Avec cette tombe, Pougeau pousse jusqu’au bout l’idée de l’identification de l’artiste à son oeuvre, leur caractère indissociable, dans la vie comme dans la mort. La mort est censée être l’occasion du pardon, de la réconciliation avec ceux qu’on aurait pu insulter de leur vivant. Dans les oeuvres de Pougeau au contraire, la mort n’émousse pas la rage et le ressentiment, le trépas ne met pas à l’abri de l’injure. Pas de bons sentiments, pas de bon goût, pas de bienséance. L’invective inscrite sur la tombe suscite toutes sortes d’hypothèses, déclenche des fictions. Elle suggère en tous cas la poursuite d’un échange d’insultes que la mort n’a pas interrompu. Depuis sa tombe, l’artiste continue de crier sa rage. Ce tombeau concentre sa vie, son oeuvre, et sa hargne ad vitam aeternam. Curieux est le pouvoir d’ébranlement de ce rectangle noir minimal gravé de dix lettres d’or. Sans image choquante, ni sang, ni pornographie, mais juste par le biais d’une
« délocalisation », du télescopage inattendu d’une insulte et d’un objet sacralisé, l’oeuvre de Pougeau nous provoque et nous contraint à une réflexion dérangeante sur notre relation à la mort.
Eric Pougeau est né en 1968, il vit et travaille à Paris.
Il est représenté par la Galerie Olivier Robert, Paris.
http://www.lamaisonrouge.org/spip.php?article748