L'Hindouisme aux AntillesExtrait du livre d'Ernest MoutoussamyLes Indiens croient en la réincarnation de l'âme et ont une approche spécifique de la mort considérée comme une transition facilitée par l'incinération du cadavre. Des témoignages recueillis, il ressort qu'au début de l'immigration, certains Indiens ont tenté la pratique de l'incinération. Mais face à l'offensive du catholicisme et aux exigences de l'économie de plantation, ils durent renoncer très vite et accepter d'enterrer leur mort. Ils réussirent pour­tant à conserver quelques pratiques, dont certaines ont tendance à disparaître.
Les anciens racontent qu'autrefois, avant d'enlever le corps de la maison, le cer­cueil était encensé et les membres de la famille répandaient tout autour, du riz mélangé à des pétales de fleurs, à du safran et à des pièces de monnaie. Au cours de la procession conduisant au cime­tière, l'on continuait à répandre le riz pour empêcher à l'âme du défunt, disait-on, de revenir au domicile.
Si la personne était décédée un "mauvais jour", on taillait les ongles d'un coq sur la tombe et on jetait l'animal dans la fosse avant de descendre le cercueil. On cassait un coco pour terminer l'enterrement. Ces pratiques ont disparu, mais il existe tou­jours des rites hindouistes, lors du culte des morts.
Dans les zones rurales, l'approche de la mort demeure spécifique. Aussitôt après le décès, surtout s'il y a lieu en début de soirée, des messagers vont porter la nouvel­le aux parents et aux amis. Cette façon de faire, perpétue une tra­dition originale. En effet, en Inde, en cette circonstance, le chef des intou­chables appelé Sakkilyar fournissait les hommes qui devaient répandre la nou­velle en parcourant la campagne. L'expression créole "Kouricikilé" pour tra­duire le fait d'informer le voisinage d'un décès, semble provenir de "Sakkilyar".
L'on complète aussi l'information par le tambour qui joue alors dans la nuit un rythme caractéristique.
La veillée funèbre est dominée par la musique de l'orchestre (matalom, taloms) qui n'est pas triste, car il faut minimiser l'importance de la mort, occuper l'esprit et distraire l'assistance. A l'extérieur de la maison, l'on chante presque toute la nuit en se relayant sans désemparer. II est élo­quent de constater parfois la coexistence de deux groupes de chanteurs reflétant la mixité de la population : d'un côté, la chanson créole avec des nègres et des Indiens, de l'autre, l'orchestre indien s'ex­primant en tamoul.
En général, les hommes se tiennent au dehors et les femmes à l'intérieur près du corps. Les proches parents féminins pleu­rent, en chantonnant de façon disconti­nue. Ces pleureuses évoquent dans leur "Opali" les mérites et qualités du disparu. Chaque arrivée de membres de la famil­le se signale par une poussée de lamentations.
Les funérailles ne finissent pas après l'en­terrement. Elles continuent avec la cérémonie du lait; le Kalmandlon et le Semblani.
Dans certaines familles, le dimanche qui suit l'enterrement du défunt, les parents organisent la cérémonie du lait. Dans la maison du défunt on met un "Semblani", on casse le coco puis on se rend au cime­tière. Un tray porté par un proche sur sa tête contient des fleurs des boissons des rotis, des vadès et du lait pur de vache. On allume un feu, on remet un semblani et, sur la tombe, on verse le lait en y enfouissant trois sortes de graines. Ce rite permet au disparu de se débarrasser de ses péchés, de renaître pour une vie spirituelle qui lui permettra d'atteindre un degré supérieur avant de se réincarner. De retour à la maison, on allume une lampe à l'entrée, on se lave les pieds puis on enjambe la lampe pour pénétrer dans la case. La céré­monie se termine par un semblani suivi d'une réception des parents et amis.
Le Kalmandlon ou Karoumandom.Cette cérémonie a lieu quarante jours après l'enterrement pour les Tamouls et seize jours pour les "calcutta". Elle dure vingt-quatre heures et se déroule en plu­sieurs lieux. Elle a pour but d'aider l'âme à s'élever vers les hautes sphères spiri­tuelles.
Le corps du défunt est représenté par une brique entourée d'un tissu, blanc pour une femme et rouge pour un homme, qui symbolise l'immortalité de l'âme. Cette brique est placée devant une figure maté­rialisée sur le sol par des fils de différentes couleurs.
La maison est parfumée et purifiée. Le samedi soir à dix-huit heures, on met le premier semblani (un seul repas pour le mort). A minuit et à six heures du matin, on renouvelle le semblani, en enlevant à chaque fois le repas précédent.
Le fils aîné ou le benjamin dont la tête a été rasée au bord d'une mare ou de la mer, et les cheveux jetés dans l'eau, pénètre dans la figure dessinée pendant que l'officiant prie devant les portes gar­dées par les divinités et symbolisées par les files que brûle un morceau de camphre.
La cérémonie se termine l'après-midi par un repas familial en l'honneur du défunt pris sur des morceaux de feuille de bananier. Avant que l'on commence à manger, un membre de la famille prélè­ve une prise de chaque repas. L'ensemble recueilli est placé sous un arbre bordant la route qui a conduit le défunt au cime­tière avec une bougie, une tasse de café, une cigarette, un fruit... Celui qui a dépo­sé cet ultime repas doit reprendre le che­min de la maison sans se retourner. II dépose devant la porte d'entrée. Le Kalmandlon met fin deuil.
Une fois par an, durant la période de la Toussaint au mois de novembre, beau­coup de familles indiennes honorent leurs défunts les plus proches par la cérémonie du semblani en leur offrant un repas. Celui-ci est préparé durant la journée sans que les cuisinières aient à goûter aux mets qui sont rigoureusement destinés aux morts. II comprend :
- des plats de base : riz, colombos, rottis, moulounkilè...
- des gâteaux : vadè, panialon, woundè,
- des fruits et du café,
- des boissons.
Le jour choisi, en fin d'après-midi, contre la cloison principale de la maison, l'offi­ciant met en place les préparatifs. Sur une ou deux feuilles de bananier, il dispose les repas destinés aux morts en offrant à cha­cun ce qu'il aimait particulièrement. Puis il les encense avec le benjoin du tamba­lon, casse des cocos avant de se proster­ner en pensant aux morts. Chacun à tour de rôle honore les disparus en faisant monter l'encens et en s'appliquant au front un peu de cendre. L'on ferme ensuite toutes les portes pour permettre aux morts de goûter aux repas. La cérémonie se termi­ne par la réception de tous les invités. Seuls les proches consomment les mets qui étaient spécifiquement destinés aux parents décédés. Notez qu'un repas est toujours consacré aux morts inconnus.
Toutes ces cérémonies consacrées aux disparus, montrent l'importance de la mort chez les Indiens. Si certaines ont pour but d'apaiser l'âme et de la conduire au ciel ou à la réincarnation, d'autres permet­tent de lutter contre l'oubli. Les offrandes que l'on fait aux morts chaque année sym­bolisent la gratitude respectueuse pour les ancêtres.
Ces traits de l'indianité qui ont résisté à l'assimilation et à la créolisation, contri­buent à définir l'hindouisme guadelou­péen.
Source : http://www.obseques-liberte.com