Dans "Libération.fr", article parlant du même sujet, version suisse.
" «Nous voyons beaucoup de choses dans notre métier, mais ces images sont parmi les plus remuantes que j’ai vues. On y voit une personne mourir après un long étouffement, il y a des spasmes, c’est vraiment difficile à regarder.» Adjoint du procureur à Zürich, Jürg Vollenweider reste très secoué par les films reçus ces dernières semaines de la part de Dignitas, l’association suisse alémanique d’aide au suicide. Depuis peu, elle propose à ses «clients» en fin de vie de se suicider en enfilant leur tête dans un sac rempli d’hélium. Si le coma est rapide, le corps du patient remue encore pendant plusieurs minutes. Agonie ou trépas sans douleur ? Toute la question est là, qui relance encore une fois la polémique entourant depuis des années la pratique de l’assistance au suicide, une variante de l’euthanasie passive qui fait l’objet d’un consensus implicite dans la population et dans la sphère politique. Ces pratiques sont filmées pour donner la preuve d’un acte effectué librement par le patient. Transmises à la police, les images terminent sur le bureau d’un juge, qui classe l’affaire. Avant l’hélium - que Dignitas peut obtenir sans prescription médicale, ce qui accélère la procédure - les suicides assistés s’effectuaient par la mise à disposition du patient d’une potion mortelle, 15 grammes de natrium pentobarbital dilués dans un verre d’eau.
Jurisprudence. Dignitas est l’une des deux associations helvétiques, avec Exit, à proposer la mort autoadministrée sous surveillance médicale. En règle générale, des médecins bénévoles accompagnent le patient dans ses derniers instants. L’an dernier, elle a aidé près de 350 personnes à mettre fin à leurs jours, dont une majorité d’Allemands. Un nombre qui augmente chaque année, sans néanmoins une explosion du nombre de demandes. La Suisse, mouroir de l’Europe et destination la plus prisée du tourisme de la «mort douce» ? L’image est déformée : on ne se précipite pas encore aux frontières pour un self-service fatal. D’abord parce que l’ingestion du poison n’est dans la majorité des cas que l’aboutissement d’un long parcours, au contact de médecins et de psychiatres qui évaluent au plus près les motivations du demandeur. Ensuite parce que la jurisprudence, à défaut de loi explicite, a jusqu’ici permis d’éviter les abus. Car dans la Confédération, rien n’interdit l’aide au suicide. Le gouvernement a renoncé à légiférer il y a deux ans, par souci d’éviter une institutionnalisation de la pratique, ce qui serait revenu, disent certains, à l’encourager au point de devoir songer à une formation professionnelle spécifique. Tout est dans cette zone grise : le droit helvétique dit seulement que les associations d’aide au suicide peuvent pratiquer librement, tant qu’aucun motif égoïste ne peut leur être reproché (tentative de captation d’héritage, par exemple). Mieux, l’acceptation croissante de cette pratique est encouragée par l’Académie suisse des sciences médicales. Elle admet, sous certaines conditions strictes, que le suicide assisté puisse avoir lieu dans un hôpital, comme cela est le cas depuis deux ans au CHU de Lausanne, avec lequel travaille l’association Exit, qui, contrairement à Dignitas, n’accepte pas les patients étrangers.
«Ghetto». Le problème est ailleurs : oui à l’aide au suicide, mais pas dans mon quartier. Ludwig Minelli, le sulfureux avocat qui dirige Dignitas, erre depuis des mois d’appartement en appartement, chassé par des voisins qui ne supportent plus les allers-retours de corbillards dans la cage d’escalier. Il a fini par pratiquer dans une zone industrielle, à côté du plus grand bordel de Suisse. Congédié de cette zone, il a pratiqué des suicides assistés dans une camionnette sur des parkings anonymes de banlieue ou en lisière de forêt. Ces tribulations sordides soulignent un paradoxe : «Les errances de Dignitas montrent bien l’ambiguïté de la société face à la mort, écrivait récemment Bertrand Kiefer, directeur de la Revue médicale suisse. La mise en ghetto du suicide assisté n’est-elle pas en fait souhaitée par la population ? D’un côté, elle soutient la pratique, mais de l’autre, elle entend que ce suicide assisté reste discret, se déroule dans l’ombre, demeure enveloppé d’un silence sacré. Aucun signe de la mort ne doit venir troubler le quotidien des vivants en bonne santé.» "
NB : Qu'entendent-ils au juste par "corbillard" ? " ... les allers-retours de corbillards dans la cage d'escalier "